Dès la mise en place des traitements contre le cancer, on peut rencontrer des difficultés à se concentrer, à trouver ses mots ou à se rappeler de ce que l’on était en train de faire. C’est ce que l’on appelle le “chemobrain” ou “chemofog” : le brouillard de la chimio.
L’association Oncogite créée par Véronique Gérat-Muller, neuropsychologue, a mis en place des ateliers de remédiation cognitive afin de redonner confiance aux patients touchés par ce phénomène. Quelles peuvent être les conséquences des traitements ? Comment se passe un atelier de remédiation cognitive ? Sonia, une adhérente de l’association a accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre expérience de vie de la maladie en quelques mots ?
Je m’appelle Sonia, j’ai 53 ans. Célibataire avec un enfant de 15 ans, je travaille pour une société qui fabrique des produits de contraste (pour les IRM/scanners etc.)
Nous étions au premier confinement au printemps 2020 quand j’ai reçu le courrier de la Sécurité sociale m’invitant à faire une mammographie de contrôle et je l’ai laissé de côté… jusqu’au mois d’octobre : ma société décide de nous faire un post sur le cancer du sein, « tiens c’est vrai ! je vais aller faire ma mammo ». Résultat : 2 tumeurs au sein droit dont l’un hormonodépendant.
S’engage alors le parcours : opération, chimiothérapie, radiothérapie, injections de trastuzumab* et hormonothérapie.
Le combat a été rude, nous étions confinés, mon fils avait peur de me contaminer avec le Covid… et les effets habituels de ces traitements lourds : fatigue, perte des cheveux, cils et sourcils, nausées, syndrome mains-pieds, brûlure et toujours plus de fatigue. Le combat physique a été difficile mais j’ai été bien entourée, aussi bien par mon entourage que le personnel médical et c’est très important. J’ai eu beaucoup de mal à accepter d’être diminuée et quelque part, c’est toujours le cas aujourd’hui.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez suite à votre maladie et/ou vos traitements ?
J’ai rencontré beaucoup de difficultés à rester concentrée, à trouver une organisation de travail qui puisse pallier ma mémoire défaillante mais la fatigue reste mon principal handicap. Le télétravail est essentiel pour moi (80 km/jour), sans cela il m’aurait été impossible d’envisager une reprise si tôt.
Comment avez-vous découvert le brouillard de la chimio ?
Personne ne m’en a parlé, j’ai fait la découverte sur le terrain. Première chimio : j’arrive avec mon livre sous le bras pour passer le temps et je vois les autres malades qui regardent des films, écoutent de la musique, font des mots croisés et je me dis « tiens c’est étrange, personne n’a de livre… » Au bout d’un quart d’heure, je ne savais plus ce que j’avais lu à la page précédente ! L’infirmière m’a donc expliqué ce fameux brouillard.
À quel moment la remédiation cognitive vous est apparue comme une solution ?
À l’automne dernier, souhaitant reprendre le travail, je me suis dit que je devais faire quelque chose car mon cerveau était une vraie passoire (étourdie, difficultés de concentration, oublis, chercher ses mots…) ! En cherchant sur Internet, je suis tombée sur le site de l’association Oncogite.
Pouvez-vous nous parler du déroulement d'un atelier Oncogite ?
Les ateliers Oncogite ont le grand avantage de se faire en visio : une fois par semaine pendant une heure et demie.
On a le plaisir de se retrouver en petit groupe (5 à 8 personnes) sous la direction de notre bienveillante neuropsychologue.
La séance se déroule en plusieurs activités qui vont solliciter le travail de toutes nos mémoires (court terme, long terme etc.) Avant l’atelier on imprime nos feuilles de travail, ensuite il ne reste plus qu’à se connecter et se laisser guider. Attention à ne rien prévoir après l’atelier, sauf un bon thé ou un café . Nos neurones sont secoués !!!
Qu'avez-vous appris ? ou Qu'est-ce que cela vous a apporté ?
J’ai appris à ne pas chercher la performance mais à faire travailler ma mémoire de façon régulière. Les efforts ont été visibles très vite : je peux travailler plus rapidement, efficacement et surtout lire (je suis passée de 1 livre/mois à 3 ou 4).
Où en êtes-vous ? Quels sont vos projets ?
J’ai terminé la partie lourde du traitement et je suis actuellement sous hormonothérapie. Mon objectif est de reprendre mon travail à 100 %, j’essaye de partager au mieux mon expérience.
Mes projets sont nombreux : voyager, lire, évoluer dans mon travail, accompagner mon fils vers sa vie d’adulte et prendre soin de moi !
Selon vous, comment peut-on améliorer l’accompagnement des personnes malades en entreprise ?
En sensibilisant les entreprises aux difficultés post-traitement : c’est toujours tabou. Si votre hiérarchie a connaissance des effets secondaires alors elle pourra mieux organiser votre retour.
En aidant les malades à pouvoir assumer leur nouvelle apparence, qu’elle soit physique et/ou mentale. J’entends par le terme « apparence mentale », que très vite, les gens autour de nous vont associer les oublis et l’inattention post chimio à la dépression. Pour la grande majorité, ils ne vont pas associer cela à des troubles cognitifs, contrairement aux malades qui reviennent suite à un AVC. Le travail cognitif est indispensable.
Enfin en sensibilisant les services RH, qui dans la majorité des cas vont ajouter les problèmes administratifs et financiers à une reprise qui est déjà un immense effort.
Si vous aviez 1 seul conseil ou bonne pratique à partager pour mieux concilier maladie et travail, lequel serait-ce ?
Il est difficile de donner des conseils car les traitements sont différents.
De retour après 10 mois d’absence, j’ai repris en douceur (temps partiel thérapeutique) mi-temps pendant six mois et là je travaille à 80 %. Dans la mesure du possible, reprendre progressivement permet de garder un temps de repos et en même temps, on remet un pied dans la vie active. Reprendre le cours de sa vie exige : concentration, organisation, efforts, adaptation… ce que l’on fait habituellement sans réfléchir devient souvent compliqué. Je dirai donc qu’il faut associer reprise progressive et repos.
Quelque chose de plus à nous partager ? Une passion ? Une citation ? Une œuvre ?
Je ne peux que conseiller le livre de Julie Meunier : « À mes sœurs de combat », tout une expérience sur la lutte, la résilience et les discriminations. Elle est la fondatrice des Franjynes, site sur lequel on peut trouver de magnifiques turbans avec des franges.
Il y a un podcast que j’aime beaucoup également : « My boob Story ». Un journal positif sur le parcours ; les podcasts sont courts (environ 5 min). Il s’agit de Sophie Hoffman, une journaliste de 35 ans.
Merci Sonia pour votre témoignage.
Pour aller plus loin et pour mieux concilier les conséquences invisibles de la maladie, découvrez notre série d’articles « Mieux vivre avec les conséquences de la maladie » et notre article « Cancer et troubles cognitifs au travail – Quand la mémoire fait défaut ».
À l’occasion d’Octobre rose, Oncogite lance son 2e Cogithon, l’occasion d’accéder à la web-application gratuitement durant tout le mois d’octobre.
Vous aussi vous souhaitez en savoir plus ou témoigner de votre expérience de la maladie au travail, contactez-nous à l’adresse alloalex@wecareatwork.com
Pour toutes vos questions, sachez qu’ALLO Alex est là pour vous aider ! Pour rappel, le service est joignable au 0800 400 310 du lundi au vendredi de 9h à 17h (appel gratuit).
*trastuzumab : thérapie ciblée d’anticorps monoclonaux pour bloquer la protéine HER2 (ou récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain) qui a la propriété de favoriser la croissance des cellules. Cette protéine HER2 est située à la surface des cellules du sein.
Crédit photo :
Photo de couverture, Marcus Aurelius – Pexels
Portrait de Sonia, tous droits réservés
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